Quand je bois ses mots... Grand Jacques, Marseille et le tango argentin
J'ai bu toute sa poésie. Danser sur ses mots... "Madame promène l'été jusque dans le midi de la France." Jacques Brel, Les remparts de Varsovie
Adolescent, c'est Jacques Brel qui fut mon chanteur préféré, j'étais ivre en écoutant ses chansons, je buvais chacun de ses vers en lisant son oeuvre intégrale.
Ses textes, sa poésie enivrante, ont formé également mon écriture pendant ma pénible initiation: en effet, jusqu'à 17 ans, j'étais nul en français, j'avais de nombreux 0/20, et ma maîtrise de l'expression française tendait vers le désastre, tout comme mon oral et les langues étrangères. J'étais un matheux, un vrai de vrai bourré de... fautes d'orthographe! Mes premiers textes, essais, fictions, étaient des brouillons d'exubérance indéchiffrable...
Voici mon hommage à Jacques Brel, un grand grand clin d'oeil à cet homme extraordinaire qui donnait plus de concerts qu'il y a de jours dans l'année! Toujours aussi ivre de ses paroles chantées, j'ai tenu à célébrer son génie au sein de ma modeste demeure de mots en évoquant également la Provence, ma terre d'accueil, ainsi que le tango argentin, cette expression corporelle qui me permet souvent de poser ma plume!
Quand je bois les mots - Mon hommage à Jacques Brel, le texte
Quand je bois les mots, je m'enivre. Je m'enivre du poète d'un plat pays; les marquises me font oublier un Buenos Aires que je ne connais pas; et Peter Pan peut rester là-bas avec sa fée Clochette au pays des enfants perdus...
Wendy, c'est le mistral ici!
Car mon poète, il me console quand je suis triste, quand je suis seul, quand je suis las d'atteindre l'inaccessible Tanguera.
Je bois alors ses mots, il les a inventés, Rabelais aviateur, Rabelais navigateur, Benjamin, tu seras toujours l'Oncle, Maestro de l'enfance, l'Aîné, et je deviens le cadet de mes soucis que je jette dans le Rhône, parce que les fleurs sont périssables.
Le petit chat est mort, les singes, ça se joue de nous les filles, car le timide que je suis, au romarin ça se barbouille, ça se ratatouille, et je n'sais plus quoi c'que j'dis.
Allez encore un verre de tes rimes, encore un vers de ta verve, et voici que ma plaine de la Crau ressemble à tes dunes et tes dunes à des collines, des collines à en crier autour de l'étang de Berre jusqu'aux Alpilles, et j'en appelle aux chênes rabougris écrasés de lumière, et c'est bien que Johnny ait déserté ce soir-là les casseurs de chaise: à L'Olympia ils t'ont accueilli, c'est ton Olympe, sans laquelle je n'aurais pas pu faire ta connaissance.
Adolescent, je ne t'ai vu que dans ma petite lucarne; tu étais en noir et blanc, tes lèvres se déformaient, prenant toutes les formes, les nuances écarlates de ta pensée, profonde, et là, oui si on me demande : c'est quoi de l'authentique, eh bien, je répondrai que l'authentique, c'est cet homme, gringalet, avec des mains aux doigts comme de longues branches d'un platane, qui s'agitent, qui gesticulent, animées de cette humanité qui remplit notre surface terrestre, souffrances, angoisses, délires, désirs, des lèvres perchées là-haut, tout là-haut derrière un odieux microphone, un homme en noir et blanc, je t'ai toujours vu en noir & blanc, parce que tes couleurs, les couleurs de ton âme, tu les mettais dans tes chansons, tes poèmes, tes prières, ô bonne Mère, pour des couleurs, la langue française portait avec toi toutes les couleurs de l'arc-en-ciel! Si tu étais une blague belge, ah la bonne blague!
Adolescent, je t'écoutais, au pied du trop grand lit, arpégeant les théories des prodigieuses victoires de la psychologie aux triomphes de la psychanalyse, cherchant à placer tous les paragraphes dans mes stades de la petite enfance, des stades? Mes complexes faisaient la holà, se foutant bien de ma gueule de blondinet, parce qu'on n'écoute pas les enfants, on n'écoute pas les enfants, parce qu'ils ne parlent pas si on ne les écoute plus, on n'écoute pas les enfants, parce que certains ne parlent plus.
Heureux les enfants terribles, parce que les enfants fantômes, ils sont comme les rideaux accrochés aux fenêtre de la salle-à-manger.
Alors seul dans ma nuit, je me promène dans ma petite zone industrielle, les carreaux des usines, moi, j'irai bien les casser, et je ferai taire le Diable; il a écrit un discours, le Diable, moi je préfère effeuiller les ailes d'un ange, bien loin des frites et des moules et puis des moules et des frites, mais même dans le port de Marseille il y a des marins qui boivent plein de pastaga et de drames aux premières lueurs, et moi au milieu de tout ça, moi, qui me prend encore pour moi, j'ai apporté des lilas, j'attends le tram sur la cannebière, et je la vois, ma tanguera, la fille qui danse en pleine rue...
ô danseuse d'antiquité, ô soleil dansant, o mon amour mon thym ma lavande ma persillade à l'huile d'olive de l'aube clair jusqu'.... snif, nous étions deux amis et Fanette l'aimait! Si elles s'en souviennent dans le Vieux Port sous l'oeil de Notre Dame de La Garde, les vagues vous le diront combien j'ai dansé de milongas pour elle!
Allez Fred t'es pas tout seul soulève ta petite carcasse, viens, Fred, viens, viens effeuillons les ailes d'un ange pour voir si tu m'aimeront! sinon, ...
Au diable l'avarice, il y aura juste le mistral pour agiter les fleurs, un cheval devant, peut-être un' 2CV, et moi derrière : au suivant, et au suivant, je me souviens j'avais le rouge au front et le savon de Marseille à la main, et Ma Tanguera que j'attends là, j'avais apporté des fraises tagada parce que les fleurs c'est encore et toujours nom de Dieu, mais dîtes moi par hasard qu'il y a là, un souvenir périssable?
Soudain je la vois, holà! Galinette! moi je t'offrirai... des boules de pétanque venues de la fontaine Marie-Rose là-bas dans mon coin de paradis en marge de la plaine de la Crau, mais... ils sont plus de deux mille et je n'en vois que deux, oh bonne Mère que c'est triste l'aéroport de Marignane avec ou sans... Fernandel!
Plus de deux mille, et je les ai comptés. Bouche ouverte, bras en croix, je suis là, je ne peux plus la suivre, car la foule la grignote comme un quelconque chich kebab libanais.
J'ai jeté le cochonnet. Elle a tiré la première et je n'ai pas pu pointer.
Elle préfère d'autres carrures, de cargo, trop belle pour moi qui navigue sur les flots, avec des habits Petit Bâteau.
Va, galinette, la Mathilde, tanguera qui m'a fait chavirer, qui m'a toucher couler...
Me revoilà enfant perdu. La ville s'endormait et j'en oublie son nom. Les soirs où je suis argentin, je m'offre des argentines, mais ce soir, le coeur en pagaille et la bite sous le bras, je pense à sa robe qui volait sur un boléo, son talon-aguille qui s'enfonçait dans mon mollet sur un gancho, ah! le bon vieux temps.
Ne me quitte pas, Frida la blonde! Tanpis! Je deviendrai ton plat pays, ton Vierzon, ton air de la bêtise, ton Zangra avec ou sans viagra, et je me cacherai là .... Ombre de ton ombre.
Allez, vé! Encore un verre et je va. L'amour... l'amour?
Dis-le toi, Grand Jacques, ce n'était pas si facile d'y croire hein? C'est tellement beau quand on croit que tout cela est vrai, et les Evangiles, c'est quand on a que l'amour pour unique prière au jour du grand partage qu'est...
Allez Don Quichotte, l'Argentin de Carcassonne, Milongeroz, ce ne sont que des millions de plus, des perles de chagrin et de désespérance, quand le bandonéon expire, ramène ta figure en pleine lumière, et frotte toi la panse à la panse de Gaïa la bonne terre : ton Amérique à toi, c'est ta garrigue, tes genêts et tes amandiers dont le rose au printemps vient s'étendre sur ton blog pour lui offrir une caresse, un blog égaré au fond de la toile du net, parmi des millions... t'es un mystère, tu n'es qu'un mystère de plus en moins, et derrière les clics s'étalant devant nous, derrière les yeux fatigués, et les visages en attente, au-delà de ces doigts tapant et tapant encore qui se crispent en vain, un homme, un être humain, une goutte d'eau noyée dans l'océan de l'humanité... holà! Le Sarmiento est déjà reparti.
Et j'entends comme une voix, j'entends...
C'est lui, lui, qui fredonne de tout là-bas, de ces îles où ils parlent de la mort comme tu parles d'une olive, il chante encore, encore, et certains soirs,
les milongas s'en vont, les milongas s'en viennent,
et entre deux bals,
Il me berce, me console...
Heureux qui chante pour l'enfant
Et qui sans jamais rien lui dire
Le guide vers...
L'inaccessible étoile.
Texte écrit et publié pour la première fois le 11 février 2012, à Salon-de-Provence, Frédéric Zarod - Tango Plume Avignon
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Quand je bois les mots... Le tango argentin, Marseille et la Provence
Lady fougueuse cherche son rythme de vie - Lecture publique et poétique du texte dans le cadre d'une conférence sur le tango argentin dans les Alpes de Haute Provence, sur le thème: l'initiative de la femme dans le guidage de l'homme (atelier labo-tango à Curel, vallée du Jabron, 2016).
Mon tango est né en Provence, entre Avignon et les Saintes-Maries - Lecture publique du texte, slam accompagné par la guitare d'un célèbre chanteur-compositeur du tango rioplatense (à vous de deviner!), dans le cadre d'un cabaret-tango à la milonga del Angel, Nîmes, 2015.
Knokke-Le-Zoute tango
"Les soirs où je suis argentin
Je m'offre quelques Argentines
Quitte à cueillir dans les vitrines
Des jolis quartiers d'Amsterdam
Des lianes qui auraient ce teint de femme
Qu'exportent vos cités latines"
Famille Brel, 1977
Le tango funèbre
"Ah! je les vois déjà
Me couvrant de baisers
Et s'arrachant mes mains
Et demandant tout bas
Est-ce que la mort s'en vient
Est-ce que la mort s'en va
Est-ce qu'il est encore chaud
Est-ce qu'il est déjà froid?"
Editions musicales Pouchenel, Bruxelles, 1964
Rosa
"C'est le tango des promenades
Deux par seul sous les arcades
Cernés de corbeaux et d'alcades
Qui nous protégeaient des pourquoi
C'est le tango de la pluie sur la cour
Le miroir d'une flaque sans amour
Qui m'a fait comprendre un jour
Que je ne serai pas Vasco de Gama"
1962, by Productions musicales "Alleluia Gérard Meys"
Knokke-Le-Zoute tango, Jacques Brel - Les Marquises
Le tango funèbre, Jacques Brel - Intégrale des albums studio
Rosa, Jacques Brel - Les Bourgeois
Un tango sur... "Ne me quitte pas" de Jacques Brel