Le tango n'est pas fait pour l'homme

Publié le par Frédéric Zarod

Le tango n'est pas fait pour l'homme

Le tango n'est pas fait pour l'homme

 

Le tango, c'est intense, c'est puissant, ce n'est pas fait pour l'homme, ça renverse, ça enivre, on n'en sort pas indemne. Pourquoi des hommes dansent-ils le tango? Que font-ils en milonga? Le tango, ça nous retourne, il y a des promesses qu'on vous fait toucher du doigt, mais le retour est un vide sidéral qui amplifie les blessures de jadis, oui, ça fait mal le tango, parfois, peut-être pas toujours, je ne sais comment je fais pour... je ne sais pas, mais j'y retourne, mon coeur est si fragile devant une si grande chose, il faut encore tenir debout après ça, et je ne suis qu'un homme, comment dire, ailleurs il y a tout pour les hommes. Heureux ceux qui ne connaissent pas le tango...

 

Le tango, c'est une violence que je m'afflige à chaque milonga: pourtant le tango contient tant de douceur, et l'on ne peut imaginer plus de tendresse dans le couple, que j'ai envie de fondre comme la neige au soleil de midi.

 

 

La Bible disait donc vrai. Tout y est dit, de l'Ecclesiaste à l'Apocalypse de Saint-Jean, que ce soit dans les paroles des Evangiles ou l'Ancien Testament, la milonga est un purgatoire: tu te demandes toujours, en en sortant, si dimanche matin, tu vas courir à l'Eglise et réciter Notre Père, ou si ce ne serait pas plus mal de signer un contrat avec le diable...

 

 

Le tango nous fait toucher du doigt, et encore toucher du coeur, bien des délices, tels que m'apparaissent ceux du cantique des cantiques.

La milonga nous fourgue le péché originel dans l'abrazo, et débrouilles-toi avec ça.

 

Le tango, oui, c'est un truc pour les femmes. Malheur à l'homme qui, par errance, s'attarde sur la baldosa. C'est dire qu'il n'est pas un homme qui a compris ce qu'est un homme... Sinon il n'irait pas au bal. Nous le savons. Mais l'on fait comme si tout allait bien. En vérité, ça va plutôt bien, le tango c'est une voie de garage pour les coeurs brisés. Je veux dire, les coeurs tellements déchirés qu'on ne parvient plus à les recoudre.

 

Les femmes, au tango, ne sont pas non plus des diablesses. Il y en a, comme partout ailleurs, bien sûr. Mais elles sont là pour nous consoler. A croire qu'il y a deux espèces de femmes sur terre. Oui. Deux races féminines: les femmes. Et les danseuses de tango.

 

 

Le tango, c'est tordu. Regardez l'entonnoir, une fois que vous y avez glissé votre âme, vous ne pouvez plus revenir en arrière; le tango c'est un machin sur lequel vous posez une patte, puis une autre, avez-vous déjà observé les insectes sur du papier tue-mouche?

 

Vous êtes-vous déjà mis dans la peau d'une prostituée. Savez-vous le calvaire qu'elle vit? Elle se livre, il n'y a même plus de verrou à sa porte, les clients passent, les uns après les autres. L'homme livre son coeur, tanda après tanda, il croit rafistoler ce qui, en lui et de sa vie passée, était déjà dans un piètre état. Mais il continue à s'effilocher, subrepticement, de milonga en milonga.

Il donne ici, il donne encore là, et rentre au beau milieu de la nuit, mange comme quatre, et il attend l'aube, il attend, parce que dans son corps, elles sont toutes là, dedans, leurs parfums, le grain de leur peau, leur douceur, et ce qu'elles nous ont donné, car la tanguera donne beaucoup, elle, au moins, elle peut faire l'amour sur le parquet flottant, il suffit de pas grand chose, de larges épaules, un buste rassurant, des bras fermes, une conviction qui blesse déjà leur féminité, c'est ce qu'elles aiment, l'intention du mâle, elles se sentent déjà remplies, quand ce n'est pas un semblant d'orgasme.

En cet endroit, je ne fais pas de vulgarité, c'est beau, ô que c'est beau d'être une femme. Tout y est caché, mais l'homme n'est pas conçu pareil.

 

 

L'homme, malheureusement, il est venu au monde pour y être un étranger. C'est sa propre mère qui a commencé par mettre tous ses bagages dehors: tu seras un homme mon fils, autrement dit, homme, tu es condamné à errer. Tu ne feras rien d'autre de ta vie, que chercher un foyer, à en construire un, ou à rentrer quelque part, qu'importe, homme, tu veux rentrer, tu dois écarter les mystères qui se posent sur ton chemin, tu n'as de cesse de pourfendre les chimères, d'écarter les bras qui se croisent devant ta volonté...

 

Le tango, il est un piège où les femmes rendent gloire à la volonté de l'homme. Mais un jour, tu découvres que tu forces des portes ouvertes, même si ces dernières grincent, ou se font lourdes, c'est pour te faire croire que tu es responsable de l'arc de cercle que leur tranchant dessine: une femme du tango ne fait que tourner sur ses gonds, elle n'en sortira pas. Ne demande pas la clef, son abrazo, elle l'a donné au danseur qui t'a précédé, et le donnera encore au suivant.

Et le tien, d'abrazo? Tu le donnes aussi, à l'une, puis à l'autre, et encore à une autre. Chaque semaine, tu cires tes pompes, tu te rases, tu mets ta plus belle chemise, car tu es impatient de refaire la même erreur.

 

 

Dire qu'il y a des coureurs de jupon qui ont défroissé tant de lits, déchiré tant de robes, qu'un beau jour, tu les trouves au bistrot, la bouteille vide, et ils te disent que c'est pas juste, qu'ils aimeraient bien poser leurs valises, glisser leur coeur sous l'oreiller d'une seule princesse, d'une seule vilaine.

A enfiler les bals comme on enfile les perles, le danseur de tango, de même, s'exclame que ce n'est pas juste.

 

Son ivresse à lui?

 

 

Il ne sait même pas si c'est le tango argentin, sa musique étrange, ce mélange de classique et de mélodie populaire, orchestré à merveille, qui pourtant berce, et fait du bien au moral, ou bien si ce sont  toutes ces sensuelles dissociations qui massent son ventre, ces cuisses nues qui cisèlent la piste en  l'effleurant tels des caprices, ces reins dont le mouvement finit par agacer, toutes ces mains que son épaule subit si délicieusement, qui, plutôt, le droguent...

 

L'homme du tango, après la cumparsita, se retrouve encore dehors. Une fois dans la rue, il est pris comme d'une somnolence. Il se donnerait une claque, pour se réveiller, afin de rentrer à bon port. C'est ce qu'il fait.

Il rentre.

 

Mais chez lui, il a beau se savonner les mains, son buste tout entier est couvert de sensations indicibles. Ce sont des serpents par centaines, des rubans de satin, des drapés de soie, qui encerclent son cou, ses bras, ses reins. Parce qu'elles ont laissé leurs empreintes, leurs effluves de femme.

L'homme ne s'en débarrasse pas comme ça.

 

 

Le tango, c'est astral, ton orgueil d'homme ne sert qu'à assurer le voyage en musique, tu étais débutant, elles avaient mal aux pieds, tournaient leur visage, tu t'es investi, tu as fait des progrès parce que ta fierté te dictait ce qu'il fallait faire: te voici à présent guide touristique de la piste de danse. Gazelles ou lionnes, biches ou tigresses, elles réveillent le fauve, tu prends toute la tendresse qui te revient, que tu mérites sans doute, mais à l'aube, tu sais aussi qu'elles t'ont laissé d'invisibles griffures, morsures, ne serait-ce qu'un souffle amoureux que tu as saisi mais qui ne t'était de toute manière pas destiné...

 

 

Le tango n'est pas fait pour les hommes, ça rend fou, et moi, maudite plume, le tango rioplatense, au lieu de me faire pleurer sur cette farce, ça me fait couler de l'encre, beaucoup d'encre:

 

Les possédés du tango (vidéo)

L'ange et le diable (vidéo)

Mon dernier tango (poème court)

L'ivresse du tango (texte poétique)

Dans l'esprit tango queer (réflexions originales)

Cette nuit je suis mort de froid (fiction)

Mon tango est né en Provence, entre Avignon et les Saintes-Maries

Quand je bois les mots...  Grand Jacques, la Provence et le tango

Te faire l'amour-tango plus de mille fois (+18)

Tanguera

Je suis amoureux de cette femme

La féministe n'aime pas le tango (article polémique)

En l'homme, coeur de pierre (poésie)

T'aimer (et me fondre) d'amour

Plume sensible qui vire à l'indigo - Lady Plume 4

 

Avignon, le 10 janvier 2016

Cancion Desesperada, Liliane Barrios

C'est peut-être l'homme qui n'est pas fait pour la femme?

C'est peut-être l'homme qui n'est pas fait pour la femme?

Esta noche me emborracho, Carlos Gardel - The Tango Collection

Les hommes et les femmes de la milonga me font penser à ce doux foyer chaleureusement animé où, entre chiens et chats,  si les aboiements recouvrent les miaulements,  les maîtres donneront toujours raison aux deuxièmes... même si nous nous accusons les uns les autres de nous faire hérisser le poil

Les hommes et les femmes de la milonga me font penser à ce doux foyer chaleureusement animé où, entre chiens et chats, si les aboiements recouvrent les miaulements, les maîtres donneront toujours raison aux deuxièmes... même si nous nous accusons les uns les autres de nous faire hérisser le poil

Alma de Bandoneon, Francisco Lomuto, Fernando Diaz - Tango Classics 370: Perfume Gaucho

"Pourquoi une femme ne comprend-elle jamais qu'un homme donne tout en donnant son amour?" Enrique Santos Discépolo

"Pourquoi une femme ne comprend-elle jamais qu'un homme donne tout en donnant son amour?" Enrique Santos Discépolo

Publié dans Tango Obsthébrazouble

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