La femme du bal : naissance d'une danseuse

Publié le par Violette

La femme du bal : naissance d'une danseuse

Au milieu des ténèbres, une danseuse est née. Sous les étoiles, l'orpheline égarée avait froid et faim. Annoncer la naissance de la danseuse n'est pas chose aisée pour moi; qui se souvient du conte du petit chaperon rouge, ou celui des frères Grimm, Hansel et Gretel? Je repasse en boucle la jolie mélodie de Stromae: dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bien vite... Mais ceci n'est pas un clip vidéo, les êtres les plus vulnérables, les plus fragiles sont encore les enfants, malheureusement c'est plus facilement sur eux que s'abattent les crises de nerfs, la fatigue, la haine, les frustrations, les pétages de plomb, sans parler du reste....

Nous venons sur la terre et il y a distribution de petits et gros traumatismes. Une fois adulte, nous passons notre vie à réparer notre coeur, notre corps...

Combien d'amour nous faut-il, quelle force d'aimer, pour panser nos plaies, et accepter dans le regard de l'Autre, les souffrances et blessures qui font échos dans notre propre âme... "Heureux qui chante pour l'enfant, et qui sans jamais rien lui dire, le guide au chemin triomphant", Jacques Brel.

 

La danseuse de tango est née aux alentours de Noël 2015. Sans doute deux ou trois jours avant la Nativité. Un nouveau soleil, une renaissance pour l'enfant à l'intérieur de mon coeur.

 

Ils m'ont lâché la main. C'était une prairie. Etincelante. Ils m'ont dit: "Là où tu vas, nous ne pouvons t'accompagner." Je me suis retournée vers eux. Ils ont insisté. Je les ai vus s'éloigner. Me voilà maintenant égarée. Mais avec eux, n'ai-je pas vécu pareil égarement? J'ai fait quelques pas... Mes pieds nus sur l'herbe grasse m'ont donné une sensation de liberté. J'avais peur. Je me suis mise à marcher. Le soleil chauffait agréablement mon front. J'ai détaché ma chevelure, caressé le tapis de végétation. Je crois avoir marché trois heures, ou quatre. Où allais-je donc? La peur avait fait place à un sentiment nouveau: je marchais, et j'ai compris à cet instant que mon chemin, c'est seule, que je devais le prendre: il est là, devant moi, quel que soit l'horizon vers lequel je me tourne, mon chemin demeure ici, sous chaque pas que je fais désormais, les mains ouvertes, leur paume vers un ciel azur... Alors je ne me suis plus sentie seule: je venais de rencontrer ce que je suis à présent.

 

Gothique naissance, parce que cette danseuse nous arrive de ces mondes obscurs où rien n'est rassurant, j'avais oublié ce que c'est une main de femme posée sur ma peau, l'apaisement que cela procure. Mieux vaut un mauvais cadre, que pas de cadre du tout, voilà ce que je réponds à ceux qui ne comprennent pas: j'étais né banalement, dans une société qui s'est mise soudainement à courir dans tous les sens, les parents ont déserté, une maison grande et vide. Tout le monde s'empresse de travailler, de partir tôt, de rentrer tard. Les divorces sont à la mode. Les mères ne donnent plus le sein: elles ont offert leur progéniture en pâture à l'industrie du lait. On m'a imposé du lait en poudre... industriel. Des trucs chimiques. On m'a posé devant une étrange fenêtre: j'ai été élevé devant la télé.

Dix ans, peut-être vingt ans plus tôt, tout ça, ça n'existait pas... L'homme a évolué pendant des dizaines de milliers d'années, et voilà qu'en une fraction de temps, comme une poignée de secondes au beau milieu d'un siècle, l'humain est devenu fou, pressé, et s'est mis à mettre le monde complètement à l'envers... à le découper en parcelles pour le vendre aux plus offrants...

 

Mes angoisses d'enfant? Au milieu des ténèbres, il me fallait les vivre... Et elles sont restées là; autour de moi. Il y a dix ans de cela, j'ai pris mon premier cours de tango argentin. Il y avait cette vie diurne, et ce cauchemar, je tenais l'équilibre sur le fil, un funambule, un noctambule. Je suis devenu un artiste. Je veux dire: un artisan travaillant sur des fondations bancales, et ce précipice, là, toujours autour de mon cœur.

 

Il était tant que mes deux vies n'en fassent plus qu'une... Il m'a fallu tendre bien des passerelles entre les deux. Mieux valait un mauvais cadre, que pas de cadre du tout.

Voilà un peu plus de deux mois que Lady Plume est née. Sa naissance était inattendue. La danseuse se trouvait dans l'ombre du danseur, ma danse, mon interprétation musicale, mon inspiration, viennent-ils de ma féminité exacerbée? Le tango me permet de me construire sur la norme hétéro. Mais ceci n'est pas une norme. C'est la vie: un homme, une femme, Adam et Eve, sans quoi, il n'y aurait plus de descendants.

Publié dans transgenre, tanguera, récit

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